Je l'ai vu partir, cinq ans auparavant, et je n'ai rien pu faire, rien. Elle était ma meilleure amie, ma pire ennemie aussi parfois, et mon côté obscur comme le dirait mon père. Ce jour-là je n'ai pas été capable de la retenir, de la convaincre de rester, de ne pas m'abandonner, en quelques sortes. Je l'ai laissé filer, et j'ai perdu la seule personne avec qui j'avais réellement l'impression de partager quelque chose, des sentiments tellement forts qu'ils nous donneraient la force de tout vaincre, qu'ils nous donneraient l'illusion d'être invincible. La seule image qu'il me reste d'elle est lorsqu'elle a brutalement fait claquer la porte d'entrée, entre deux coups de tonnerres, alors que la pluie battait sans cesser de tomber. Et ce souvenir aurait pu rester l'ultime souvenir de ma soeur, si je n'avais pas reçu cette lettre, un beau matin, trois années complètes après que cette averse infernale ait frappée Seattle, après que ma vision de cette porte en bois blanche ait complètement changée.

Je ne vais habituellement jamais m'aventurer jusqu'à la boîte aux lettres, toujours prise d'une flemmardise intarissable. Et pourtant, ce jour-là, je me suis attelée à la tâche d'aller ramasser le courrier. Entre quelques factures, tracts publicitaires et autres catalogues de supermarchés il y avait une enveloppe qui me fit presque immédiatement de l'oeil. Ni timbre, ni adresse, il n'y avait que mon prénom, mon premier prénom, celui que personne n'osait jamais utilisé a par elle. A cet instant là, le ciel qui, avant ça, était aussi bleu qu'un chewing-gum en état de non-usage, changea littéralement de couleur. Décris comme ça on se croirait en plein bouleversement cinématographique, mais je le jure, c'était ça. J'ai regardé cette enveloppe un long moment, et comme si je me préparais à vivre la troisième guerre mondiale, je me laissais lâchement tomber sur l'une des marches de l'allée qui menait au porche, devant la maison. J'hésitais à l'ouvrir, j'avais peur de le regretter, peur d'y découvrir des choses que je ne voulais pas voir, que je ne voulais pas croire. J'avais la boîte crânienne pleine de questions toutes plus stupides les unes que les autres. Et si ce n'était pas elle ? Si c'était un plaisantin qui s'éclatait à me torturer, en exagérant un tant soit peu tout de même. Peut-être que quelqu'un observait ma réaction, planqué quelque part, espérant enfoncer le couteau un peu plus profondément dans la plaie. Peut-être même que l'enveloppe était vide, qui sait ? Une chose est certaine, je n'en saurai rien si je ne me décidais pas à voir ce que qu'il s'y trouvait. Un moment d'hésitation, puis je me débarrassais de toutes mes interrogations en osant enfin découvrir le contenu de cette enveloppe.

Une feuille blanche, soigneusement pliée en trois, jusque là, rien de bien fantastique. Juste un pas de plus vers l'extinction d'une forêt et.. un billet d'avion ? J'observais distinctement chacune des indications inscrites sur ce qui avait tout d'un aller simple pour le New Jersey. J'avais beau réfléchir, retourner mon cerveau dans tous les sens envisageables, je n'arrivais pas à comprendre pourquoi le New Jersey. Rien ne m'y reliait et j'étais bien certaine de n'avoir jamais mis les pieds là-bas. Toujours est-il qu'une chose sur ce ticket m'embêtait réellement, la date du vol. Elle était programmée pour demain, tout ce précipitait et je ne saisissais vraiment plus rien. Une enveloppe, un billet d'avion pour demain soir en direction de Cape May, et cette fameuse lettre qui me nouait la gorge sans que je n'ai pris le temps de la déplier pour la lire. J'allais le faire, une fois que j'aurai fini de la fusiller du regard comme on peut le faire devant un enfant pour lui faire peur. Je jetais un coup d'oeil à la fameuse enveloppe, tenant à être sûre de ce que j'avais vu. Bowie. Je pouvais le relire, encore et encore, et c'est ce que je voyais, à chaque fois. Mon prénom, et sa façon si particulière de faire ses lettres, de leur donner ce que côté fantaisiste alors qu'elles n'étaient finalement pas si exceptionnelles que ça. Résonnait dans ma tête les rires que nous partagions quand nous étions plus petites, maquillées de toutes les couleurs et coiffées de manière abstraite, à sauter sur nos lits en ré-inventant les paroles de Like A Virgin. Enfin, je dépliais ce fichu bout de papier. Connement, je passais mes doigts sur les lignes minutieusement écrites de cette lettre, avant de tenter l'impossible en voulant, une bonne fois pour toutes, rétablir l'ordre dans toutes ces péripéties si soudainement apparues.

Ma blondie, ma Bowinette.

Oui, c'est moi. Et je sais que tu vas t'énerver en sachant ça, en sachant que j'ai attendu tout ce temps pour t'offrir la clé de la compréhension, mais s'il te plaît, lis cette lettre jusqu'au bout. Oh ! et, fais moi plaisir, même si tu ne le veux pas, garde ce billet d'avion. C'est génial le New Jersey et tu seras contente de l'avoir, crois-moi.

Comment va papa ? Argh, si tu savais ce que ça me fait de prétendre qu'il puisse être mon père. Toujours si acharné à t'offrir un avenir brillant ? J'imagine qu'il n'a jamais eu l'audace de te révéler la raison de mon départ, et ça ne m'étonne pas de lui. Il y a beaucoup d'autres choses qu'il n'a pas eu l'audace de te révéler, des choses que tu aurais certainement eu envie de savoir, mais qu'il a du juger bon de ne pas te dire, comme il l'a fait pour moi. Enfin, pour toi ou pour moi, c'est la même chose finalement. Tu ne comprends pas, je sais, mais laisse moi terminer. Tu connais la maladie du Parkinson ? C'est une maladie neurologique qui cause des troubles moteurs, mais de manière progressive. Demande des renseignements sur le sujet à papa, et observe bien la façon dont il réagira. Et puis, demande lui comment est morte maman, tant que tu y es. S'il évite le sujet, insiste, encore et encore. Passes-y la nuit s'il le faut.

Enfin, je ne vais pas te gâcher le plaisir de tout découvrir par toi-même, maintenant que tu as les cartes en mains. Fais seulement en sortes d'en faire bonne usage.

Je fus, suite à ça, dérangée par quelques gouttes de pluie qui commencèrent à dégringoler pour s'écraser sur la lettre que je venais de lire. Cette lettre, qui d'ailleurs avait eu l'air de m'envoyer dans une autre dimension le temps de sa lecture, me semblait inachevée, en simple état de brouillon. Particulièrement car je n'arrivais pas à assembler le come back de ma soeur avec la maladie de Parkinson ainsi que ma mère. Et, qu'est-ce que mon père faisait là-dedans ? Rien n'était clair, et je me trouvais encore plus confuse que lorsque j'avais trouvé cette enveloppe entre deux publicités de bouts de viande bon marché.

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Secouée par cette lettre, je ne pouvais pas attendre le retour de mon père pour savoir enfin déchiffré ce message qui m'avait l'air complétement codé. Et après avoir passé un quart d'heure à observer, assise dans le couloir, la porte de la chambre de celui qui m'avait élevée, je m'accordais d'y entrer un instant. Je n'entrais quasiment jamais, si ce n'est lorsque l'on me le demandait, et le fait d'y mettre les pieds me resserrait quelque peu l'estomac. A moins que ce ne soit la suite des évènements qui me mettait dans ce état. Je longeais le lit, passant le bout de mes doigts sur les draps en observant la pièce dans ses moindres détails. Je pense, quoique je ne faisais pas que penser, que j'allais fouiller. Je ne savais pas ce que je cherchais, je ne savais pas non plus où chercher, mais je devais trouver quelque chose, je devais comprendre, que cette impression d'être folle se volatilise, enfin.

MR. LOCKHART ৩ Edwige ? Je suis rentré !

Le schéma habituelle se répétait. Le claquement de porte, le bruit des clés sur le meuble dans l'entrée, la veste qui prenait place sur le porte manteau pour finir par les chaussures qui résonnaient en retrouvant le sol. Cela faisait déjà une bonne vingtaine d'années que cette chanson se répétait, chaque soirs. Le son de ses pas contre le tapis qui traversait le couloir, et, enfin, il arrivait dans la cuisine.

MR. LOCKHART ৩ Oh ! ben tu es là. Je pensais que tu serais dans ta chambre, puisque tu ne m'as pas répondu.

J'avais le regard perdu dans le vide et mes mains étaient occupés à faire tourner le verre d'eau qui trônait sur la table. Il s'approcha et déposa une bise sur ma joue, en guise de bonsoir, probablement. Je ne lui décollais pas un mot, pas un regard, me contentant d'écouter, et uniquement d'écouter. La porte du placard, le verre contre le plan de travail et l'eau qui le remplissait, quittant la bouteille d'eau avant qu'elle ne soit refermée par le bouchon bleu clair. Il s'installa à table, sur une chaise voisine sans un mot. J'attendais qu'il ait fini de boire avant de commencer, de rompre le silence, de couper l'hésitation qui m'envahissait de tout lui dire d'une traite.

EDWIGE ৩ Je.. c'est parce-que j'étais.. Tu sais je viens de trouver un truc ultra intéressant, je suis sûre que tu serais content de l'apprendre aussi.
MR. LOCKHART ৩ Ah oui ? Dis-moi tout.

Il répondit de la même manière que lorsque je rentrais de l'école avec un bulletin en mains, apparemment il ne prenait pas mes paroles sur une note négative, pourtant il n'allait pas tarder à le devoir. Je levais enfin mes yeux de mon verre d'eau encore plein, les posant maintenant sur lui.

EDWIGE ৩ J'ai été chercher le courrier aujourd'hui, tu vois, le genre de truc basique que je ne fais jamais d'habitude, mais j'ignore pourquoi aujourd'hui j'ai tenu à le faire. Comme souvent on a été gâté niveau pubs, entre les catalogues de supermarchés et les tracts publicitaires d'entreprises naissantes ou d'écologistes du coin j'ai trouvé une lettre. Ah oui, y'avait aussi des factures, je te les ai laissées là-bas dans l'entrée. Je disais donc, j'ai trouvé une lettre, et dessus il y avait marqué Bowie. Ouais, Bowie, avec son écriture.

J'observais son regard, l'expression sur son visage qui changeait littéralement de couleur. Je n'avais pas besoin de dire son prénom pour qu'il comprenne de qui je voulais bien parler, disons que le Bowie avait fait le travail pour lui, de façon exagérée. Nous ne parlions jamais d'elle, plus depuis qu'elle avait quitté la maison, elle était comme devenue tabou. D'un regard je lui fis voir la lettre, posée sur la table, juste à côté de mon verre. Il l'attrapa et commença à ouvrir l'enveloppe, allant pour attraper la feuille et la lire, j'imagine. Je le stoppais, placement ma main sur la sienne, coupant l'élan de son geste.

EDWIGE ৩ Ne la lis pas.. Le truc comique c'est que j'ai mis un moment avant de me décider à l'ouvrir, tu sais. Je me suis même assise dehors le temps que j'attrape le courage d'affronter son écriture si parfaite en lisant sa lettre. J'y ai lu des choses on ne peut plus intéressantes, elle me disait que je devais te poser des questions, que tu m'aides à faire un lien entre la maladie de Parkinson et maman. Ah oui, et que tu étais en menteur aussi. Quoique non, elle a juste dit que tu me cachais des choses, comme tu l'as aussi fait pour elle, sauf qu'elle l'a remarqué bien plus rapidement que moi. Ca ne m'étonne pas, elle a toujours eu un flair remarquable, comparé à moi qui était plutôt du genre facilement influençable.
MR. LOCKHART ৩ Je ne te..
EDWIGE ৩ Nan, tais-toi. Laisse moi terminer. J'ai donc eu du mal à y croire, mais pour qu'elle se manifeste, elle, pour me dire ça, c'est qu'il y avait forcément quelque chose. Ca me fait penser à un truc aussi, pourquoi tu ne m'as jamais dit pourquoi elle était partie ? Ne me dis pas que j'aurais du te poser la question, tu aurais du me le dire sans que je te le demande, tu savais très bien que ça m'affecterait. Bon, passons. Donc, après avoir lu cette lettre, je suis rentrée, et j'ai réfléchis, longtemps, très longtemps. J'avais trois options devant moi. La première, je jetais la lettre, mais ça paraît bien trop facile tu ne trouves pas ? Deuxièmement, je t'attendais, te la faisait voir, et t'obligeais à tout me dire. Et la dernière, je me débrouillais pour trouver la conclusion de l'histoire par moi-même. Ne tenant pas à t'attendre, c'est pour la troisième que j'ai opté.

Je n'avais pas fait que revisiter sa chambre, et il aurait fini très vite par le remarquer si, dégonflée, je ne m'étais pas décidée à tout lui raconter de mon plein gré. Enfin.. Une pièce de ce type, c'est l'endroit idéal pour planquer ce que l'on a à cacher. Magazines pornographiques sous l'oreiller, ou sous le matelas, également, bagues de fiançailles dans le tiroir à chaussettes - j'invite tous ceux qui nieront à regarder Dr. House - et en arrêtant ma liste ici pour ne pas trop en dévoiler pour l'instant, j'annonce qu'il y a encore tout un tas de choses qu'il est possible de dissimuler dans une chambre. Entre deux chemises ou scotché sur le dos d'une armoire. Soit, j'ai fait la plupart des recoins imaginables, tentant dans le compliqué, après tout si l'on veut bien faire ce qu'il nous faut c'est un tant soit peu d'imagination, mais ça n'a rien donné. Et finalement, avant de me dire que je cherchais peut-être l'introuvable, il a suffit de tirer une seule poignée, une seule, la chose la moins compliquée du monde, tellement peu originale que je n'y avais pas pensé.

Une boîte, type boîte à chaussures quand vous venez de vous offrir une belle paire toute neuve, et des courriers, des tonnes de courriers. Au hasard, j'en attrapais une, lettre, l'ouvrant comme je l'avais fait quelques temps plutôt, quand je fouinais encore dans la chambre de mon géniteur, assise sur son lit en me demandant ce que pouvait être toute ses enveloppes totalement identiques.

EDWIGE ৩ Le placard de ta chambre, pas franchement malin. Je suis sérieuse, tu me déçois. Si tu avais voulu cacher ça correctement tu aurais probablement du trouver un autre moyen que celui que l'on voit le plus dans les films. Celui là et le dessous du matelas, ça va de soit. Et alors, que de merveilles ! J'ai réussi à en apprendre des vertes et des pas mûres. Alors comme ça tu déverses une pension chaque mois pour une maison de repos dans le New Jersey ? Pour qui ? Tu as réussi à dégotter une femme qui portait exactement le même prénom que maman ? Tu es très fort, non franchement, je m'inclinerais presque.
MR. LOCKHART ৩ Edwige..
EDWIGE ৩ Non, non. C'est pour ça qu'elle est partie, pas vrai ? Parce-que tu nous as empêché pendant tout ce temps de voir notre mère uniquement parce-qu'elle était malade ? Mais quel genre d'être-humain es-tu ? Qu'est-ce que ça pouvait bien te faire qu'elle soit malade ? Pourquoi tu nous as noyer dans tes histoires ? Pourquoi ? Vas-y, dis-moi que ça ne t'a rien fait de savoir qu'elle pleurait ses filles, et de nous voir pleurer une mère qui était sois-disant décédée ? Je trouve ça ignoble, horrifiant, monstrueux. Ce que je t'ai pas dit aussi, c'est que, la lettre, elle était accompagnée par un billet d'avion, pour le New Jersey, trop fort hein ? Et même si j'ai énormément hésité, je crois que je vais l'utiliser.

Le silence, mon discours terminé, il semble bouche-bée, bête et secoué. Je le regardais fixement tandis qu'il baissait les yeux. J'insistais réellement, j'imagine que pour lui se devait être lourd, mais je m'en fichais royalement. Puis, je poussais la chaise avant de m'en dégager, levant les yeux aux ciels en observant une fois de plus l'air abattu que mon père prenait. C'est moi, moi qui aurait du être abattue. Je traversais la cuisine, lui lançant un ultime regard en arrivant à la porte de la pièce. Il releva la tête à son tour, mais cette fois-ci je fuyais son regard. En traversant le couloir, je me rendis compte qu'il n'avait même pas fait attention à ma valise, posée prêt de la porte, dans l'entrée, ce qui me fit soupirer. Oui, j'avais fait ma valise, j'étais prête à partir. Je me le devais. On ne cache pas une telle chose pendant tant d'années à une personne en espérant qu'elle veuille rester lorsqu'elle termine par tout savoir. Du moins, il se trouve que c'est ma logique. Une nuit, une dernière nuit à partager entre les mêmes murs que cet homme sans coeur, car c'est ainsi que je le voyais dorénavant, et je partais. Le New Jersey, je n'avais aucunes idées d'où je m'embarquais mais dans tous les cas, j'y partais. C'était, en quelques sortes, la fin, mon départ, brouillon, rapide, non-calculé et soudain, mais ça l'était.

that story just made me so fucking wet.